Plongez au cœur des interventions marquantes prononcées lors des différentes
éditions de l’Africa Political Outlook.
Mesdames et Messieurs, Vos Excellences, Chers amis,
Nous vivons la fin d’une ère. L’ordre mondial façonné après la Seconde Guerre mondiale n’existe plus. Ce système multilatéral, qui garantissait un semblant de stabilité, s’est effondré sous le poids des nouvelles réalités géopolitiques. La guerre en Ukraine, par exemple, a accéléré la fragmentation des alliances traditionnelles : si l’Europe et les États-Unis y voient une rupture stratégique majeure, de nombreux pays du Sud global refusent de prendre parti, rappelant les logiques de non-alignement de la guerre froide.
Nous entrons dans une ère du plurilatéralisme, où les centres de gravité se multiplient, où les blocs se réajustent, et où les nouvelles puissances du Sud ne sont plus de simples spectateurs, mais des acteurs incontournables. La montée des BRICS, dont le PIB en parité de pouvoir d’achat dépasse désormais celui du G7 en est une éloquente illustration. La Chine, désormais premier partenaire commercial de l’Afrique, s’est imposée depuis deux décennies comme un partenaire de choix, l’Inde et l’Indonésie redessinent les chaînes d’approvisionnement globales, la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf), qui créera un marché de 1,3 milliard de consommateurs d’ici 2030 Nouveau Sud, Ancien Monde – c’est ainsi que nous avons choisi de nommer le sommet de l’Africa Political Outlook. Volontairement incisif, ce thème reflète la dynamique de transformation à l’œuvre sur le continent africain, qui redéfinit ses relations avec un ordre mondial en mutation. Il traduit l’ambition d’un Sud émergent, affirmant sa voix, ses priorités, son agenda et ses aspirations face à des structures héritées du passé.
Ce dialogue est essentiel non seulement pour l’Afrique, mais aussi pour ses partenaires européens et internationaux. Il invite à repenser ensemble les cadres de coopération, à dépasser les paradigmes anciens et à construire des relations fondées sur des intérêts partagés, la réciprocité et une vision commune d’un avenir plus équilibré. À travers ce prisme, le sommet interrogera les rapports de force, les nouvelles alliances et les trajectoires d’une émergence plus souveraine et inclusive. Au Sahel, les alliances sécuritaires africaines ont remplacé les solutions endogènes, prouvant que notre sécurité doit être conçue par, pour et avec les acteurs, et non importée.
Le Sud Global est devenu un Sud Géant. Il n’est plus seulement une périphérie, un phénomène, un balbutiement. C’est la nouvelle réalité géostratégique. Ce Sud se revendique, propose, construit, allie, s’allie, rallie.
Nous ne sommes plus dans un monde bipolaire ou unipolaire, mais dans une transition vers un ordre encore indéfini, où l’histoire hésite entre chaos et renaissance. L’ère Trump II a marqué un tournant avec son "transactionnalisme isolationniste", un repli stratégique qui, paradoxalement, a ouvert la voie à de nouvelles dynamiques internationales, à ce qu’on pourrait appeler le post-multilatéralisme. Celles-ci doivent être structurées, non pas par la nostalgie d’un passé révolu, mais par une vision d’avenir.
Ce retour vers le passé est en réalité un bond vers l'avenir.
Et dans ce monde en recomposition, l’Afrique et les pays du Sud ont une responsabilité historique : celle de se positionner non pas comme des suiveurs, mais comme des bâtisseurs. Nous devons formuler notre propre doctrine, définir notre propre rôle, imposer notre propre tempo. Le temps des énergies nouvelles est arrivé.
L’énergie des valeurs : celles de la solidarité, de la souveraineté assumée, du respect des peuples et de la justice internationale.
L’énergie des rêveurs : car aucune puissance ne s’est construite sans une ambition décomplexée, sans une imagination visionnaire, un niveau d'ambition élevé, impossible, déterminé, puissant.
L’énergie des bâtisseurs, des bosseurs, de ceux qui ressentent l’urgence et l’impatience de l'exécution pour permettre à la jeunesse africaine de transformer le potentiel du continent en prospérité.
Dans cette dynamique, nous devons dépasser le paradigme de l’aide au développement. L’aide ne développe pas. Elle entretient. Ce qu’il nous faut, c’est du financement structurant, un cadre qui permettra la concrétisation d’une ambition collective. L’Afrique ne peut plus être un simple récepteur d’investissements épars. Elle doit être une puissance de proposition. C’est pourquoi l’Union Africaine doit se doter d’un mandat exécutif de levée de fonds souverains pour financer nos grands projets continentaux. Une indépendance économique est la condition d’une souveraineté géopolitique. L’Afrique a une autre carte à jouer : celle de partenaire stratégique pour l’Europe. Face au désordre international, nous pouvons et devons bâtir de nouvelles résonances, non pas dans une relation paternaliste, mais dans une logique d’alliance entre égaux. Nous devons passer du partenariat à l’alliance.
Pour cela, trois priorités majeures peuvent structurer le nouveau cycle stratégique entre l’Europe et l’Afrique :
Mesdames et Messieurs, le monde se réorganise, se repense, se réinvente.
L’Afrique et le Sud global doivent prendre leur destin en main. Nous ne devons plus nous contenter d’exister dans l’ordre mondial, nous devons le façonner. C’est l’heure de l’ambition. C’est l’heure de la vision. C’est l’heure de l’action.
Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître ». À nous de l’accoucher.
Je vous remercie.